Danseurs folkloriques © ollirg - Shutterstock.com.jpg

La musique traditionnelle et folklorique

Depuis 2005, les chants iso-polyphoniques du sud de l’Albanie sont classés au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Et ça n’a rien de surprenant, ils sont aussi singuliers que magnifiques. Cela évoque à la fois le mystère des voix bulgares, la polyphonie corse, la clarinette de Sydney Bechet, les chants des pygmées et le rebétiko grec. Il s’agit d’un chant à plusieurs voix s’appuyant sur un bourdon qui sert de base tonale. Chaque ensemble comprend le marrësi (soliste) qui lance la mélodie et entonne le chant, le kthyësi qui lui répond dans un style haché et le hedhësi qui orne la polyphonie à certains moments. Ils sont soutenus par l’iso, un chœur en bourdon qui s’apparente à l’ison de la musique liturgique byzantine. Chaque partie du Sud a son propre style, pratiqué a capella ou accompagné d’instruments : calme et grave à Gjirokastra, chants lyriques de Libohova, chants héroïques et rythmés aux voix dures de Vlora, voix hautes et tendues à Himara, mélanges de voix masculines et féminines de Përmet. L’Ansambli Vokal I Gjirokastres, formation réputée pour ses chants iso-polyphoniques et, dans un style différent, la famille Lela de Përmet – qui marie les chants polyphoniques à la clarinette – offrent deux très beaux panoramas sur cette musique du Sud albanais.

À l’inverse, dans les régions du Nord – peuplées par les Guègues – les traditions musicales sont particulièrement monophoniques. On y trouve essentiellement de la poésie chantée – accompagnée de lahutë, une vièle monocorde typique de la région – dont les thèmes épiques évoquent entre autres l’histoire et les luttes du peuple albanais. Des chants qui assurent la préservation et la transmission de la culture et des valeurs guègues. Définitivement, l’Albanie est à elle seule un monde entier de sonorités étranges et envoûtantes à découvrir au détour d’une taverne ou, encore mieux, lors des festivals folkloriques de Përmet ou de Gjirokastra. Ce dernier est d’ailleurs particulièrement intéressant. Créé en 1968 sous l’impulsion du régime communiste (pour célébrer l’anniversaire d’Enver Hoxha dans sa ville natale), il est organisé depuis tous les cinq ans au château de Gjirokastra dans le sud de l’Albanie. Questionnez n’importe quel Albanais sur le sujet, l’événement occupe une place particulière dans le cœur de chacun. Avec environ un millier d’artistes d’Albanie, du Kosovo et de Macédoine du Nord à chaque édition, impossible de trouver meilleur concentré de musiques, costumes et danses traditionnelles dans le pays. Au passage, on ne peut mieux conseiller que de jeter une oreille sur l’excellente compilation There Where the Avalanche Stops (réédité chez Touch Records) qui propose d’entendre un enregistrement live dudit festival en 1988. Un très beau document.

La musique populaire

Durant les années 1930, l’Albanie est bercée par le son du « chant lyrique urbain ». À l’époque, la musique populaire est emmenée par une avant-garde de grandes voix féminines. La plus fameuse (et la première) d’entre elles, Marie Kraja, est une cantatrice formée à Graz. Accompagnée de la pianiste Lola Gjoka, elle interprète avec une importance lyrique les grands airs urbains de l’époque et ouvre la voie à une nouvelle scène dont les légendes Jorgjia Filçe-Trujaou ou Tefta Tashko-Koço. Depuis cette époque, l’Albanie n’a eu de cesse de cultiver son penchant pour les chanteuses à voix et les stars du genre se sont multipliées comme l’immense Vaçe Zela, reine de la musique albanaise jusque dans les années 1990, ou la Kosovare Nexhmije Pagarusha, dont l’aura a gagné l’ensemble du monde albanophone.

Plus récemment, depuis les années 1990, à l’instar des pays slaves des Balkans, les radios et les chaînes musicales albanaises abreuvent la population de turbo-folk, genre mêlant voix pop, synthétiseurs aux sonorités vaguement traditionnelles et grosses basses empruntées à la techno et au rap. Une variante intéressante et très populaire en Albanie est le tallava. Ce dérivé du turbo-folk né au Kosovo entre les mains de la communauté ashkali – peuple albanophone, musulman et jadis nomade (parfois apparenté aux Roms) – en propose une version plus orientale, lente et ouverte à l’improvisation.

La musique classique

Voisine de l’Italie et sous influence culturelle russe durant la République populaire socialiste, l’Albanie a été une terre fertile pour la musique classique et l’opéra tout au long de son histoire. Si l’on fait remonter régulièrement sa musique savante à Jean Coucouzèle (Jan Kukuzeli), théoricien de la musique liturgique orthodoxe du XIIIe siècle, ou au compositeur et prêtre Martin Gjoka (1890-1940), d’aucuns considèrent Çesk Zadeja comme le père du genre dans le pays. Brillant élève de Chostakovitch, Zadeja est l’auteur de la première symphonie albanaise et a participé à la fondation du conservatoire de Tirana. Un bienfaiteur de la musique savante dont l’œuvre a ouvert la porte à de nombreux compositeurs : Simon Gjoni, Vasil Tole, Thoma Gaqi ou Thoma Simaku (le plus moderne et connu à l’international) côté symphonies et Preng Jakova (l’auteur de Mrika considéré comme le premier opéra albanais), Kristo Kono ou Nikolla Zoraqi côté opéra. Ce dernier semble justement être une passion albanaise, le pays multipliant les grands noms internationaux : Avni Mula, grand baryton et père d’Inva Mula, une des meilleures sopranos de sa génération (tout simplement), Saimir Pirgu, ténor à la très belle carrière, ou Ermonela Jaho, couverte de prix (et de louanges) et passée par les plus grandes scènes lyriques internationales. Bien entendu, impossible d’aborder la musique classique en Albanie sans mentionner Tedi Papavrami, violoniste virtuose, aussi à l’aise en soliste que chambriste, devenu une référence de sa génération.

Dans le pays, on trouve difficilement meilleure scène que le palais de la Culture (ou « TKOB ») de Tirana pour de l’opéra, le classique ou un ballet. Surprenant édifice, la construction de cet immense et austère bâtiment, à l’emplacement des restes du vieux bazar, fut entamée sous l’ère soviétique. Symboliquement, Nikita Khrouchtchev y posa la première pierre en 1959. Mais lorsque les relations entre l’Albanie et l’URSS se détériorèrent, la légende veut que l’ingénieur soviétique responsable des travaux ait quitté le pays avec tous les plans. On fit alors appel à des experts chinois qui permirent de terminer la construction en 1963. Le résultat est typique du réalisme socialiste. Un bel écrin pour écouter des classiques symphoniques mondiaux et locaux.

La danse

Comme en musique, les danses traditionnelles albanaises varient énormément entre le Nord (et le peuple guègue) et celles des Tosques au Sud. Parmi les plus remarquables au nord, on trouve la danse de Tropoja, véritable trésor de grâce tout en foulards, ou la vallja e kukesit aux mouvements très vifs. Au Sud, une des plus pratiquées est la pogonishte, dansée en cercle ouvert et mixte. La capitale Tirana n’est pas exempte non plus de danses folkloriques puisqu’on y pratique régulièrement lors des mariages la napoloni, d’influence italienne, cousine de la tarentelle. Hormis le festival folklorique de Gjirokastra, de nombreux rendez-vous consacrent les danses traditionnelles comme l’Oda Dibrane à Peshkopi ou Logu i Bjeshkeve chaque année en août à Kelmend. Aussi, chaque fin d’année, les amateurs de danses modernes et contemporaines seront comblés avec l’Albania Dance Meeting de Durrës, un festival proposant des représentations de troupes issues de toute l’Europe entre Durrës et Tirana.