Les bâtisseurs de l’Antiquité
De la grande civilisation étrusque, il ne reste que peu de témoins visibles. Seuls sont parvenus jusqu’à nous des vestiges funéraires que l’on peut observer au nord de Rome, à Cerveteri. Ses inventions, en revanche, ont été largement reprises par les Romains, qu’il s’agisse d’éléments architecturaux, tels l’arc ou la voûte, ou de conceptions urbanistiques. Pour construire plus rapidement et à une échelle plus vaste, les Romains ont également utilisé de nouveaux matériaux, comme la brique. Coûtant moins cher que la pierre, la brique est aussi plus légère et plus maniable. Mais la grande invention des Romains fut bien sûr celle du béton. Tout comme la brique, il est facile à produire et à utiliser. C’est grâce à lui que les Romains ont pu édifier leurs voûtes et coupoles à une échelle toujours plus grande et sans supports intermédiaires. Maîtres du génie civil, les Romains ont rivalisé d’ingéniosité dans l’édification des monuments, dont beaucoup sont encore visibles aujourd’hui. Les fortifications d’Aurélien ceignant la ville sur près de 20 km, les 80 000 km de routes qu’ils bâtirent à travers l’Empire ou leur impressionnant système d’adduction et de traitement des eaux en sont les parfaits exemples. Ils furent aussi des urbanistes de génie, imaginant un plan type organisé autour de deux axes – le Cardo et le Decumanus - qui se coupent en un centre où s’établit le forum, le cœur de la cité. On y retrouve tous les bâtiments du pouvoir. Le temple romain est posé sur un haut podium menant à un portique. L’entrée se fait par la façade, et pour faciliter son intégration au tissu urbain environnant, le temple n’est plus entièrement entouré de colonnes, mais dispose sur ses côtés de colonnes insérées dans ses murs. L’architecture religieuse romaine se caractérise également par l’emploi de la coupole. Celle du Panthéon d’Hadrien est la plus célèbre. A côté du temple, on retrouve la basilique, le lieu de commerce et d’échange de la ville, et bien sûr la curie, le siège du pouvoir. A cette architecture politique s’ajoute une architecture de loisirs. Théâtres et amphithéâtres poussent partout dans la ville. Ils y côtoient une architecture que l’on pourrait qualifier de commémorative avec les arcs de triomphe et les colonnes, édifices glorifiant l’histoire de Rome, telle la Colonne trajane. Pour faire face à l’accroissement constant de la population, les Romains inventent également l’architecture collective avec l’insula. Elevée sur plusieurs étages, elle pouvait accueillir des centaines de personnes. Le confort y était plus que rudimentaire, à l’opposé de la douceur de vivre qui régnait dans les villas dont l’aristocratie peuplait la campagne : toutes les fantaisies y étaient permises et c’est dans ces villas que les Romains développèrent leur talent pour la mise en scène des terrasses et des jardins, comme dans l’incroyable Villa Adriana à Tivoli.
Mais les Romains ont surtout développé un goût certain pour l’ornementation et l’illusion. Là où l’architecture grecque se voulait celle de la vérité et de la sobriété, celle des Romains était une architecture du paraître. Tout devait concourir à impressionner. Ainsi ont-ils mis en place les techniques de parement et de stucage permettant de masquer la pauvreté des matériaux (brique, mortier) sous des plaques de marbre ou plusieurs couches d’enduit. A côté des matériaux mêmes, les Romains ont inventé leur propre style décoratif en reprenant les ordres grecs (dorique, ionique et corinthien), en y ajoutant l’ordre composite ou toscan, formule décorative alliant les ordres ionique et corinthien. Les colonnes ornementées sont engagées dans les murs ou juxtaposées à l’arcade, perdant ainsi toute fonction porteuse et devenant de purs éléments décoratifs. Le plus bel exemple de ce souci d’ornementation est la façade du Colisée où se juxtaposent les trois ordres, les arcs et colonnes venant l’animer d’un rythme étonnant.
Les débuts du christianisme
Les témoins les plus surprenants des premières activités chrétiennes sont sans nul doute les catacombes. Ces 240 ha de galeries creusées sous les routes menant à la ville sont peuplés de cavités plus ou moins richement décorées et destinées à accueillir les dépouilles. Les premiers temps du christianisme sont également marqués par l’apparition des premières églises, construites sur les anciennes basiliques antiques. De temples commerciaux, les basiliques deviennent temples religieux. Leur structure répond aux besoins des rites chrétiens dans lesquels les fidèles doivent pouvoir se tourner vers l’autel et le prêtre. Sur le plan rectangulaire des basiliques se crée ainsi le plan longitudinal des églises. L’entrée est souvent précédée d’un portique appelé narthex. La nef principale, elle, est éclairée par une série d’ouvertures en haut des murs, tandis que l’abside voûtée est précédée d’un arc de triomphe. Le toit à double pente de la nef repose sur une charpente en bois généralement masquée par un plafond plat, comme dans les églises Saint-Pierre et Saint-Paul-hors-les-Murs. Progressivement, l’intérieur se dote de nouveaux éléments et espaces structurants comme les balustrades de pierre ou chancels, le presbyterium réservé au clergé ou bien encore la cathèdre réservée aux officiants. Des influences orientales vont également transformer cette architecture paléochrétienne comme à Santa-Maria-in-Cosmedin avec sa triple abside et son décor de mosaïque. Sainte-Marie-Majeure, elle, montre l’évolution de l’architecture chrétienne. En effet, si ses colonnades intérieures sont antiques, son abside et ses mosaïques sont byzantines, son clocher est roman, et ses chapelles richement décorées témoignent de la puissance de la papauté aux siècles suivants.
La Renaissance romaine
Après plus d’un siècle d’exil en Avignon, la papauté revient à Rome en 1420. Dans les autres grandes villes d’Italie, la première Renaissance du Quattrocento fait déjà merveille, mais à Rome tout est à faire. Et cela la papauté l’a bien compris. Elle va donc se lancer dans des campagnes de mécénat sans précédent devant permettre la construction de nouveaux édifices et une grande rénovation urbaine. Au XVe siècle, on compte encore peu de réalisations marquantes, à l’exception du Palazzo Venezia ou des travaux d’agrandissement de l’église Santa Maria del Popolo. En revanche le XVIe siècle sera un siècle d’effervescence créatrice. L’architecte devient un artiste reconnu sortant ainsi de l’anonymat. La créativité des grands maîtres de l’architecture s’exprime notamment sur les façades dont la décoration sculptée s’enrichit et se dynamise. L’un des architectes phares de ce renouveau est Bramante dont le Tempietto est le plus beau manifeste. En règle générale, ce type d’édifice commémoratif suit un plan en croix grecque avec en son centre le tombeau du martyr célébré. Là au contraire, Bramante opte pour la pureté d’un plan circulaire. La colonnade entoure un petit édifice cylindrique surmonté d’une coupole qui n’est pas sans rappeler le Panthéon antique. Bramante a fait siens les grands principes de la Renaissance : le retour aux formes antiques et la recherche constante des proportions dans un souci de perspective et d’harmonie. Bramante va appliquer tous ces principes dans son plan pour la reconstruction de la basilique Saint-Pierre, projet que lui confie le pape Jules II, grand admirateur de son Tempietto. L’objectif est clair : faire appel aux canons classiques et privilégier un plan central, symbole de l’unité de l’Église. Bramante imagine donc un plan en croix grecque avec, à la croisée, une coupole de 40 m de diamètre reposant sur quatre piles. 40 ans après la pose de la première pierre du chantier, Michel-Ange reprend la main sur le projet. Il récupère les grandes idées de Bramante mais en renforçant les piliers soutenant la coupole et en désencombrant l’intérieur pour plus de clarté. Le grand dôme sera érigé par les successeurs de Michel-Ange. Le Palais Farnèse, quant à lui, est le plus beau témoin de l’architecture Renaissance civile. Le premier à avoir apposé sa signature à l’édifice est Antonio da Sangallo, membre d’une dynastie d’architectes très féconde. C’est lui qui fixe le modèle de ce type de palais : plan quadrangulaire, cour intérieure pourvue de colonnes et de pilastres superposés, façade simple et sobre avec une séparation nette entre les étages. Il imagine également un vestibule gigantesque composé de trois nefs. A sa mort, Michel-Ange reprend le projet et superpose harmonieusement sa vision à celle de son prédécesseur. Il couvre l’édifice d’une corniche, et dans la cour opte pour des arcades purement décoratives percées en leur centre par des fenêtres et, sur la façade, il remplace les arcades et colonnades par des pilastres et des fenêtres surmontées de frontons richement décorés par ses soins. L’édifice sera achevé par Giacomo della Porta et Vignole qui appliqueront les plans de Michel-Ange à la lettre. Les villas aussi se réinventent avec les jardins à l’italienne. Domestiquer la nature en créant des oasis aux essences précieuses rythmées par de superbes fontaines et sculptures devient pour les papes et l’aristocratie romaine un autre moyen de signifier leur puissance.
Maniérisme et Contre-Réforme
En 1527, les troupes de Charles Quint mettent la ville à sac. Les idéaux de la Renaissance commencent à vaciller. Certains artistes vont donc chercher à s’en détacher pour leur insuffler leur propre vision, dans un culte du style personnel ou maniera. Art tout en mouvement, le maniérisme doit susciter la surprise. Les masses sont accentuées, les forces et la pesanteur mises en évidence de façon à rendre l’architecture plus expressive. En 1539, alors qu’il est chargé du réagencement de la place du Capitole, Michel-Ange imagine un nouvel ordre : l’ordre colossal. Refusant les conventions, il brouille les pistes de lecture en faussant les perspectives, en modifiant les proportions et en empilant ou en brisant les ornements. Ces effets de dramatisation et ce jeu avec les codes se retrouvent dans son travail sur la basilique Saint-Pierre, même si dans ce cas Michel-Ange respecte davantage les canons classiques. Baldassarre Peruzzi et son Palazzo Massimo alle Colonne à la façade travaillée de moulures décoratives sont aussi de grands représentants de ce courant maniériste qui préfigure en douceur l’arrivée du baroque.
Face à la véhémence de la Réforme protestante, l’Église catholique organise sa riposte. Le Concile de Trente va ainsi émettre un certain nombre de règles à appliquer, notamment en matière d’architecture. L’église du Gesù en est le témoin le plus emblématique. Le cardinal Alexandre Farnèse en confie la réalisation à Vignole, connu pour son architecture pratique et rationnelle. Avec cette église, Vignole établit un modèle qui se diffusera partout dans le monde : une nef unique qui dirige le regard du fidèle vers le prêtre, des chapelles communicantes surmontées de tribunes, un transept à peine marqué dont la croisée est surmontée d’une coupole, un chœur très court et une façade à deux étages surmontée d’un fronton.
Spectacles baroques
Le XVIIe siècle romain est celui du mouvement et de la mise en scène. Il est celui du baroque. Toujours en lutte contre la Réforme protestante, l’Église veut édifier et surprendre les fidèles. Le baroque sera son style de propagande. Briser les lignes et les formes, les courber, les tordre, créer un élan ascensionnel, jouer avec les contrastes entre ombre et lumière, brouiller les pistes avec les trompe-l’œil, alterner, opposer, mettre en mouvement : tels sont les grands principes de ce baroque romain. Ses deux grands représentants sont Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin, et François Castelli, dit Borromini. Visionnaire, Le Bernin envisage ses créations tel un scénographe et y exprime son goût du grandiose et des effets. Selon lui, l’église Saint-André du Quirinal est sa création la plus parfaite. En plus du plan elliptique inhabituel, Le Bernin encadre l’église de deux écrans concaves. Autre chef-d’œuvre du maître : la place Saint-Pierre. Ses dimensions gigantesques, sa division en deux espaces pour permettre aux fidèles de s’isoler progressivement de la ville, son pourtour circonscrit par une double colonnade symétrique (qu’il appelait « les bras maternels de l’Église »), son double portique aux 284 colonnes et 88 pilastres de 20 m de haut et ses 162 statues formant un cortège menant à la basilique en font le symbole de l’Église unifiée. Borromini, lui, s’intéresse aux motifs et formes complexes de l’Antiquité tardive, créant ainsi des édifices étonnants. Son église Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines est un modèle d’édifice baroque. La multiplication des ellipses donne l’impression que l’édifice oscille et ondule, tout comme la façade construite à partir de plans concaves et convexes. L’effet monumental est accru par la concentration et l’accentuation d’éléments dont les lignes de force tendent vers le haut. Sur la piazza Navona, Borromini étonne avec la façade de l’église Sant’Agnese dont la forme concave donne l’impression que la place entre dans l’édifice, tandis que l’église Sant’Ivo alla Sapienza joue sur les courbes et contre-courbes et innove avec son dôme polylobé.
Du rococo au néoclassicisme
S’inspirant du grandiose et théâtral baroque, le rococo fait son apparition à Rome au XVIIIe siècle, comme sur la piazza Sant’Ignazo où les élégantes façades des trois palais sont agencées comme les coulisses d’une scène de théâtre. Son architecte, Filippo Raguzzini, voulait créer un effet mélodramatique sur cette place servant d’écrin à la Chiesa di Sant’Ignazo di Loyola. Mais le témoin le plus célèbre de ce style rococo est bien sûr la monumentale fontaine de Trevi qui fait se superposer la façade du palais Poli et un arc de triomphe aux quatre colossales colonnes.
Puis, progressivement, on retourne à des lignes plus claires et des formes plus simples. C’est l’avènement du style néoclassique. Là où le classicisme français ne faisait que reproduire le décor de surface des bâtiments antiques, le néoclassique romain ressuscite l’Antiquité dans toute sa grandeur et sa complexité. Dès la fin du XVIIIe, puis tout au long du XIXe siècle, les intellectuels redécouvrent l’Antiquité via l’archéologie. Les fouilles se multiplient et on met au jour d’incroyables sites antiques. L’un des grands noms de ce mouvement néoclassique est Giuseppe Valadier, architecte au service des États pontificaux et urbaniste. C’est lui qui, dès 1813, supervise la grande transformation de la ville. Pour élargir la piazza del Popolo, il fait détruire son couvent. De même, il fait détruire deux couvents pour libérer le Forum de Trajan et y établir une place. Il imagine aussi une place devant le Panthéon pour mieux en apprécier les volumes. Son objectif est de réaménager la ville tout en conservant et valorisant son patrimoine. En 1873, c’est un autre urbaniste, Alessandro Viviani, qui va lancer un nouveau plan régulateur pour Rome, afin de la doter de nouvelles infrastructures et de quartiers plus vastes pour faire face à son constant accroissement.
Gigantisme et rationalisme
Au début du XXe siècle, Rome connaît de nouvelles transformations urbaines majeures, avec notamment la création de la piazza Vittorio Emanuele II, au centre d’un tout nouveau quartier résidentiel. De même, deux grands axes (via Nazionale et via Cavour) sont créés pour relier le centre à la nouvelle gare ferroviaire. Après une incursion timide de l’Art nouveau dans le quartier Coppedè, Rome se tourne vers le gigantisme pour symboliser la puissance de la nation unifiée dont elle est la capitale. En 1911, à l’occasion de l’Exposition Internationale, on inaugure le Vittoriano, gigantesque monument en l’honneur de Victor-Emmanuel II. Il préfigure l’arrivée du rationalisme architectural, dont le Gruppo Sette est le plus célèbre représentant. Associant classicisme et modernisme, il est parfaitement en phase avec la vision fasciste de Mussolini qui veut rendre à Rome sa grandeur. Pour l’Exposition Universelle de 1942, il imagine le quartier de l’EUR avec son célèbre Palazzo della Civiltà Italiana, surnommé le Colisée carré (Voir dossier thématique).
Rome contemporaine
A l’occasion des J.O. de 1960, Pier Luigi Nervi, ingénieur spécialiste du béton, construit son Palazetto dello Sport, tandis que des aménagements urbains visent à décongestionner la ville saturée d’automobiles. Dans les années 1970, la ville réaménage sa périphérie sur le modèle des grands ensembles. C’est à cette époque que sort de terre le Corviale, ou Il Serpentone comme le surnomment les habitants. Imaginé par Mario Fiorentino, cet immeuble est long d'un km et abrite 6 500 personnes. La ville crée également son périphérique et ouvre de nouvelles routes et lignes de transport pour désenclaver ses banlieues. A l’aube de l’an 2000, la ville connaît une nouvelle effervescence créatrice, avec d’importantes campagnes de restauration et de construction, d’églises notamment, comme la Chiesa di Dio Padre Misericordioso de Richard Meier. Depuis, la Cité éternelle est devenue une terre d’accueil pour les plus grands architectes du monde. En 2002, Renzo Piano y inaugure son Auditorium Parco della Musica. En 2006, Richard Meier suscite la polémique avec son pavillon conçu pour abriter l’antique Ara Pacis. Certains ont crié à la mondialisation du patrimoine romain ! En 2012, Zaha Hadid dote la ville de son MAXXI, une belle structure de béton aux lignes incurvées. En 2016, Massimiliano et Doriana Fuksas ont présenté leur Rome Convention Centre, cube de verre et d’acier transparent à l’intérieur duquel flotte la Nuvola, le nuage. Jean Nouvel, lui, a inauguré à l’automne 2018 son Palazzo Rhinoceros, vaisseau amiral de la Fondation Alda Fendi. Quant au Stadio della Roma, il devrait bientôt sortir de terre et ainsi redynamiser le quartier de Pietralata. D’autres projets sont en cours… mais verront-ils le jour ou resteront-ils inachevés, telle la Cité des Sports de Santiago Calatrava dont la structure, une vague de dentelle d’acier, sert aujourd’hui de décor de films ? L’avenir nous le dira…