Splendeurs de l’époque byzantine
De la Byzance romaine, il ne subsiste qu’un seul grand témoin : l’hippodrome, sur l’esplanade de Sultanahmet, construit en 203 par Septime Sévère.
En revanche, nombreux sont les édifices à témoigner de la splendeur de la grande Constantinople, consacrée, le 11 mai 330, nouvelle capitale de l’Empire romain d’Orient. Pour asseoir cette grandeur impériale, Constantin lance une campagne de grands travaux d’aménagement urbain, fixant les principaux axes de la ville, utilisant un plan en damier pour créer d’importantes voies cérémonielles. Il fait ainsi agrandir l’hippodrome qui épousait la forme d’un grand U autour duquel s’élevaient 40 rangées de gradins pouvant accueillir jusqu’à 30 000 spectateurs. Accueillant des événements sportifs, culturels et politiques, l’hippodrome abritait aussi de nombreuses sculptures. De cette époque subsistent notamment l’obélisque de Théodose et la colonne serpentine. L’hippodrome à lui seul symbolise l’art et la civilisation byzantine, qui ont vu les héritages grecs et romains refondus dans le cadre d’un État chrétien imaginant ses propres codes. Génies bâtisseurs associant pragmatisme et beauté architecturale, les Romains ont doté la ville d’édifices étonnants comme l’aqueduc bâti par l’empereur Valens entre 368 et 378. Aujourd’hui, il ne reste plus que 600 m sur les 1 000 que faisait ce géant de pierre. Formé de 2 étages en arcs en plein cintre, cet aqueduc est un joyau d’ingénierie. Au Ve siècle, l’empereur Théodose Ier protège la ville par d’imposantes fortifications s’étendant sur un parcours de près de 20 km entre la mer de Marmara et la Corne d’Or. De pierre, mais surtout de brique, l’un des nouveaux matériaux utilisés à cette époque, ces murailles témoignent du génie militaire romain. Mais c’est l’empereur Justinien qui, au VIe siècle, achèvera d’asseoir la splendeur de Constantinople en reconstruisant quasiment complètement la ville et en la dotant de somptueux édifices, à commencer par la mythique basilique Sainte-Sophie, qu’il fit reconstruire après l’incendie qui la ravagea. Justinien impose la coupole comme élément directeur, qui repose sur un plan central à 3 nefs. Inaugurée en 537, Sainte-Sophie est l’œuvre des architectes Arthemis de Tralles et Isidore de Milet. Il fallut plus de 10 000 ouvriers et 100 contremaîtres pour réaliser cette splendeur dont le dôme, haut de 56 m et large de 31,80 m, est élevé sur un plan carré. Son décor somptueux ajoute encore à la prouesse technique que représente cet édifice sans égal à l’époque. C’est également à Justinien que l’on doit l’incroyable citerne de Yerebatan, surnommée la citerne-basilique. Unique moyen d’éviter l’empoisonnement des eaux, la citerne remplit une fonction primordiale que souligne son étonnante architecture aux 336 colonnes.
Cette splendeur impériale marque l’apogée de l’époque byzantine qui se traduira aux siècles suivants par des édifices plus modestes. Les églises sont de tailles plus réduites, principalement monastiques, et suivent un plan en croix grecque, à l’image du complexe monastique du Christ pantocrator. En matière d’architecture civile, il est encore possible d’admirer l’étonnant palais Tekfur Sarayi, dit palais de Constantin Porphyrogénète, édifié au XIe siècle, dont la façade principale se compose d’arcades jumelées au rez-de-chaussée, tandis que les fenêtres des deux étages supérieurs sont encadrées de somptueux motifs de pierre et de brique.
La grande époque ottomane : XVe et XVIIe siècles
Le tout premier témoin de la puissance ottomane a été érigé avant même la prise de la ville. C’est en 1452 que le sultan Mehmet II, dit le Conquérant, fit construire la forteresse de Rumelihisari en 4 mois seulement. La forteresse se compose de 3 tours dont la plus haute s’élève à 57 m au-dessus du Bosphore.
Une fois Constantinople prise, les Ottomans vont changer le visage de la ville. De nombreuses églises sont transformées en mosquées, à commencer par Sainte-Sophie qui se trouve parée de 4 minarets. La basilique transformée en sanctuaire musulman va en quelque sorte servir de modèle aux nouvelles mosquées. Les Ottomans réalisent ainsi une étonnante transition entre les valeurs byzantines chrétiennes et les principes ottomans musulmans. Ce syncrétisme est essentiel pour comprendre le génie ottoman qui a su si bien intégrer de manière pragmatique et symbolique les structures existantes. Mais l’architecture ottomane est aussi une architecture profondément politique, reflétant la puissance impériale. À la tête d’un gigantesque empire, la ville dispose de toutes les ressources matérielles et financières permettant l’édification de nombreux somptueux édifices. Les Ottomans vont ainsi repenser la ville en transformant le tissu urbain existant et en faisant renaître les splendeurs antiques. Parmi les grands témoins de cette architecture impériale, on trouve évidemment le palais de Topkapi commencé par Mehmet II en 1460. Le sultan fait entourer de murailles la partie de la ville entre Sainte-Sophie et la pointe faisant face au Bosphore et y imagine un palais où chaque fonction possède son pavillon, le tout structuré autour de 3 cours intérieures menant des espaces publics aux espaces privés. La mosquée du sultan Bayazid, édifiée entre 1501 et 1506 par le sultan Bajazet II, est la plus ancienne des mosquées royales. Son plan en croix est en fait un plan en T renversé auquel a été ajoutée une cour. Son dôme central est flanqué de 2 demi-coupoles, et ses 2 nefs latérales sont couvertes de 4 coupoles identiques, démontrant l’importance de cet élément architectural chez les Ottomans. Cette première période ottomane va surtout être marquée par le génie de l’architecte Sinan qui dota la ville de certains de ses plus beaux monuments, telles les mosquées Sehzade et Sulaymānīyah, qui impressionnent par leur structure tout en hauteur et en légèreté. Il dota également la ville de nombreux palais et autres édifices civils témoignant de la puissance impériale ottomane.
Bâtie entre 1609 et 1619, la Mosquée bleue est le dernier exemple d’architecture classique ottomane. On la doit à Mehmet Aga, l’un des disciples de Sinan. La mosquée repose sur un podium et s’ouvre sur 5 portes donnant sur une cour intérieure où trône une superbe fontaine hexagonale à 6 colonnes. Elle reprend un plan central avec une coupole soutenue par 4 demi-coupoles. Avec ses 260 fenêtres, elle est une des mosquées les plus lumineuses de la ville. Lumière qui vient rehausser le bleu éclatant des 21 043 carreaux de faïence constituant son décor et qui lui valent ce surnom de Mosquée bleue.
À la fin du XVIIe siècle, Edirne est choisie comme nouvelle capitale, faisant tomber Istanbul en désuétude, ralentissant ainsi les projets de construction. Seuls édifices notables de cette fin de siècle, les premiers Yalis, ces résidences d’été en bois érigées le long des rives du Bosphore (yalı signifie rivage) qui témoignent d’un véritable art de vivre oriental. Ces Yalis sont imaginés en osmose parfaite avec la nature. Le jardin étant placé sur les côtés, rien ne vient troubler la vue imprenable sur la mer d’un côté et la colline de l’autre. Cette emprise de la nature sur l’habitat est en parfaite adéquation avec la tradition ottomane du dépouillement. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que les façades et décors de ces Yalis seront davantage travaillés à grand renfort de dentelles de bois et de matériaux précieux. Il ne reste aujourd’hui que très peu de ces maisons, la plupart ayant été détruites. Parmi les Yalis encore existants se trouve le Yali d’Amcazade Hüseyin Pacha. Datant de la fin du XVIIe siècle, il est le plus ancien conservé.
Éclectisme et modernité ottomane : XVIIIe et XXe siècles
Alors qu’Istanbul connaît une période de déclin, le sultan Ahmed III vient redynamiser la ville en replaçant la cour au cœur du palais de Topkapi. À cette occasion, ses pavillons et kiosques sont restaurés ou reconstruits. Le sultan fait également édifier le complexe socio-religieux de Damad Ibrahim Pacha et organise une grande cérémonie officielle sur l’axe majeur de la ville, redonnant tout son sens à cet antique tissu urbain. C’est également à cette époque que les Ottomans réintroduisent l’architecture de l’eau en restaurant les aqueducs antiques et en construisant de nouvelles structures entraînant l’édification de nombreuses nouvelles fontaines, lieux de sociabilité par excellence.
Durant cette seconde période ottomane, l’architecture d’Istanbul va être profondément influencée par les courants occidentaux, sans pour autant perdre son identité et son caractère. C’est sous le règne du sultan Mahmud Ier que le baroque ottoman fait son apparition. La grande réalisation de cette période est le complexe de la mosquée Nurosmaniye, bâti entre 1749 et 1755, dont on peut voir encore les chapiteaux, arcs et moulures en façade. Ce baroque ottoman connaît son apogée sous le règne de Sélim III qui entame également de profonds changements urbains dans la ville. Poussé par les réformes militaires, le sultan décide d’abandonner le tissu urbain organique originel de la ville et d’opter pour un plan géométrique d’inspiration occidentale. Ce nouveau quadrillage urbain est employé pour la création du quartier d’Üsküdar. À la fin du XVIIIe siècle, les Occidentaux sont très présents à Istanbul, voilà qui explique les variations ottomanes à la mode européenne. Se côtoient ainsi les styles baroque, Empire, néogothique, orientaliste (d’inspiration andalouse et maghrébine) et néoclassique. Ce mélange des genres va être la source d’inspiration d’une grande famille d’architectes, les Balyan, qui seront architectes impériaux de père en fils. On leur doit le palais baroque de Küçüksu, la mosquée de Dolmabahçe, mêlant baroque et Renaissance sur un plan classique, et surtout le palais de Dolmabahçe, littéralement "jardin rempli". Cet incroyable palais fut commencé en 1843 et achevé en 1856. Sa façade maritime, longue de 600 m, est rythmée par 12 portes. Son décor est d’une incroyable richesse, faisant dialoguer escaliers à balustrades et lustres de cristal. Autre architecte important à cette époque, l’italien Raimondo d’Aronco, qui vint renforcer cet éclectisme architectural d’un nouveau style : l’Art nouveau. C’est le cas notamment du grand complexe que fit construire le sultan Abdülhamid II, comprenant une superbe bibliothèque.
Enfin, c’est au tout début du XXe siècle qu’apparaît la première architecture nationale. Le style officiel adopté par l’État à partir de 1908 est un style éclectique dominé par l’orientalisme. Ainsi, les façades restent en apparence très occidentales, tandis qu’à l’intérieur, les espaces gardent la séparation orientale privé/public, s’organisant autour des sofas, ces halls distribuant les différents espaces.
République et renouveau architectural
De 1923, année de proclamation de la république par Mustafa Kemal Atatürk, à 1960, la ville connaît de profonds bouleversements urbanistiques. C’est à l’urbaniste français Henri Prost que l’on confie la tâche d’établir un nouveau plan directeur et de moderniser la ville. Problème, Henri Prost veut appliquer des principes occidentaux sans chercher à les adapter à l’identité d’Istanbul. S’il permet la création du quartier de Talimhane, organisé selon un plan géométrique, et la percée des grands boulevards Beyoglu et Besiktas, Prost est aussi à l’origine de la démolition de nombreux monuments historiques. Le plan du Français est donc abandonné. Ankara devenant la capitale de la nouvelle république, Istanbul se développe moins et peu d’édifices sont construits. Cependant, c’est à cette époque que naît la deuxième architecture nationale menée par l’architecte Sedad Eldem. Ce courant régionaliste met les techniques modernes au service du style traditionnel, comme avec la grande bibliothèque Atatürk. En s’inspirant de l’habitat traditionnel, Eldem remet au goût du jour les maisons ottomanes, qui se caractérisent par une architecture en encorbellement et la présence de nombreuses fenêtres. Ces maisons sont le plus souvent en bois. On peut encore en apercevoir à Ortaköy ou à Üsküdar.
Architecture contemporaine
Aujourd’hui plus que jamais, Istanbul se tourne vers l’avenir, comme en témoignent les nombreux projets de renouveau urbain récemment réalisés ou en projet. Le troisième pont du Bosphore, le pont Yavuz Sultan Selim, a été inauguré en 2016. Avec ses 59 m de large, il est le plus large pont suspendu au monde. En 2018 a été inaugurée la plus grande mosquée du pays. Sur la colline de Çamlica, la mosquée du même nom impressionne par ses dimensions pouvant accueillir 30 000 personnes. Les plus hauts de ses minarets mesurent plus de 100 m, tandis que sa coupole fait près de 34 m de diamètre. Autres projets titanesques : le nouvel aéroport d’Istanbul, officiellement ouvert en avril 2019, ainsi que le percement du tunnel Eurasia en 2016, tunnel routier passant sous le Bosphore reliant l’Europe à l’Asie. La ville prévoit d'autres grands chantiers d'envergure avec l'ouverture de 7 nouvelles lignes de métro, la création du canal d’Istanbul reliant la mer Noire à la mer de Marmara et visant à réduire la pression exercée sur le détroit. Sans oublier celle de tours ultra modernes, notamment dans le quartier du Levent. La tour Sapphire, l'une des plus connues, culmine à 261 m.
Une ville qui se transforme, mais qui, souhaitons-le, gardera toujours intact son précieux passé architectural.