Du gothique à la Renaissance hollandaise
Partout en Europe, les églises gothiques, véritables géants de pierres, impressionnent par leur hauteur. Mais à Amsterdam, le sol marécageux ne peut soutenir de tels édifices. On remplace alors la pierre par la brique, et l’on compense l’absence de hauteur en développant davantage longueur et largeur. La Nieuwe Kerk, dont la construction s’inspirant de la Cathédrale d’Amiens commença en 1408, en est un bel exemple. C’est également à cette période que naissent les premières grandes réformes urbaines impulsées par la municipalité. En effet, alors que la ville subit à plusieurs reprises de terribles incendies, on interdit toute construction en bois, rendant obligatoire l’usage de la brique et de la tuile.
De 1550 à 1650, un nouveau style se développe : le maniérisme, que certains appelleront Renaissance hollandaise. Ce style conserve certains attributs du baroque, comme les courbes et l’ornementation, tout en y ajoutant des éléments de style gréco-romain classique et d’autres issus de la tradition hollandaise. Hans Vredeman de Vries est l’un des grands maîtres de ce style résolument décoratif. Ce dernier orne ses façades de rouleaux, bandes de pierre et autres masques. Tandis qu’Hendrick de Keyser, lui, joue sur l’alternance de pierre et de brique, tout en y apportant une touche de couleurs. C’est à lui que l’on doit les trois grands temples protestants de la ville, Noorderkerk, Westerkerk et Zuiderkerk.Le Siècle d’or
En entrant dans le XVIIe siècle, la ville accède à une période de prospérité économique inégalée. Pour faire face à l’augmentation de la population, elle doit s’agrandir. Pour cela, la municipalité fait creuser trois nouveaux canaux enserrant le port et la vieille ville et lance un nouveau plan d’urbanisme. Les habitants seront regroupés selon leur statut et leur origine dans des édifices dont la ville contrôle les matériaux et les dimensions. De ce dirigisme naît une grande cohérence architecturale. Le long du Herengracht, le canal des seigneurs, et du Prinsengracht, le canal des princes, on retrouve de superbes maisons bourgeoises. Parmi les plus beaux édifices se trouvent le Bartolotti Huis et la Maison des Têtes. Construite en 1622, cette demeure est un bel exemple de Renaissance hollandaise avec sa façade décorée de niches et de colonnes de grès blanc contrastant avec le marron de la brique. À l’époque, la taxe foncière était calculée sur la largeur des façades, ce qui explique l’étroitesse apparente de ces bâtisses, souvent compensée par une profondeur travaillée. Au premier coup d’œil, ces maisons de brique semblent toutes identiques, et pourtant de nombreux détails traduisent leur caractère profondément unique. Voyez là des portes richement travaillées, ici des balustrades et vérandas, mais surtout observez bien les pignons de ces maisons. Simples, à redents, en cloche ou chantourné (rappelant le col d’une bouteille), ces frontons sont un élément décoratif essentiel. Certains pignons furent produits en série, voilà pourquoi vous les retrouvez un peu partout dans la ville. Enfin, si vous regardez bien ces maisons, vous remarquerez une étonnante particularité. Nombreuses sont celles à avoir une façade penchée. Cette inclinaison permettait de protéger la façade des intempéries et de limiter ainsi l’humidité en intérieur. Mais si certaines sont penchées, c’est aussi bien souvent parce que leurs pilotis sont à bout de souffle ! Le sol marécageux d’Amsterdam nécessite l’utilisation de pilotis perçant le sol jusqu’à 7 m et servant de base à la plateforme soutenant les édifices. Aujourd’hui, ils sont en béton armé, mais à l’époque ils étaient en bois… bois qui finissait par pourrir. Les grands architectes de ce Siècle d’or sont Justus Vingboons et les Frères Philips à qui l’on doit de magnifiques demeures le long des canaux s’inspirant des styles antiques avec pilastres et colonnes, et bien sûr Jacob van Campen à qui l’on doit le Palais Royal ou Hôtel de Ville. La construction de l’édifice débuta en 1648 et dura 17 ans. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que cet imposant bâtiment, très classique dans ses lignes et ses formes, repose sur 13 659 pilotis : une véritable prouesse technique.
Influence française et nostalgie
Au XVIIIe siècle, les commerçants-voyageurs se « sédentarisent » et passent davantage de temps dans leurs demeures, ce qui explique le soin tout particulier apporté à la décoration intérieure, qui doit être à la fois agréable à vivre et refléter le statut du propriétaire. À cette époque, les riches familles succombent à la mode française. Daniel Marot, architecte et décorateur français, huguenot exilé à Amsterdam, est alors extrêmement populaire et dote les grandes demeures de mobilier Louis XV. Son objectif est de trouver l’équilibre entre intérieur et extérieur. Les créations du peintre et décorateur d’intérieur Jacob de Wit sont également très populaires.
À la fin du XIXe siècle, alors que la ville connaît un regain de prospérité, un certain vent de nostalgie souffle sur l’architecture et nombreux sont ceux à s’inspirer de la grandeur du Siècle d’Or et de la renaissance hollandaise initiée par De Keyser. C’est l’avènement des styles néogothique et néo-Renaissance. L’un des grands architectes de cette période est Pierre Cuypers. Ses deux bâtiments les plus connus à Amsterdam sont le Rijksmuseum, construit en 1885 dans un style mêlant Renaissance et baroque, et la Centraal Station, étonnant édifice de briques construit sur des milliers de pilotis. C’est à cette époque que se développe également une riche architecture industrielle dont les grands entrepôts des sociétés de transport sont les témoins.Rupture et modernité
En 1903, un nouvel édifice voit le jour à Amsterdam, la Bourse. Simple et prônant une utilisation rationnelle des matériaux anciens (briques) et nouveaux (acier, verre), ce bâtiment est en quelque sorte le manifeste architectural de Hendrik Petrus Berlage, considéré par beaucoup comme le père de l’architecture néerlandaise moderne. Ce nouveau langage architectural dépasse la simple structure du bâtiment et concerne l’édifice dans sa totalité, y compris sa décoration. Berlage travaille ainsi en étroite collaboration avec tous les corps de métier pour obtenir une décoration intérieure qui accompagne et souligne la structure sans la masquer. C’est à Berlage que la municipalité confie également la charge de concevoir un nouveau plan d’urbanisme afin de faire face à l’expansion croissante de la ville. À cette occasion, Berlage imagine des quartiers résidentiels conçus comme des ensembles homogènes, souvent organisés autour de cours intérieures, mais aussi des grandes avenues et des places favorisant la sociabilité.
S’ils reprennent certaines des idées de Berlage, les fondateurs de l’École d’Amsterdam – Piet Kramer, Michel De Klerk et Johan van der Mey – rejettent son rationalisme qu’ils jugent austère et prônent au contraire plus de créativité. Politique et esthétique, ce mouvement est autant un rejet de la nostalgie des siècles passés qu’une envie de permettre aux plus démunis de vivre dans des logements décents. Le premier bâtiment estampillé École d’Amsterdam est la Maison de la Navigation. Avec la multiplication d’ornements, de sculptures et de petites frises sur la façade, rompant ainsi avec la monotonie, l’édifice fait figure de manifeste de ce que certains appelleront l’expressionnisme hollandais. Les architectes de ce mouvement conçoivent leurs bâtiments comme des sculptures dont il faut ciseler les moindres détails. Parmi les plus beaux témoins de cette architecture, on trouve le Het Schip de Michel De Klerk. Ce complexe locatif, véritable palais pour les ouvriers, détonne avec ses effets chromatiques entre bandes de briques et tuiles de couleurs. Tout en courbes, le bâtiment donne l’impression d’onduler. Le complexe possède une école, un jardin et même une poste dont Michel De Klerk a imaginé jusqu’aux boiseries, ferronneries et faïences. Une œuvre totale. Autre bel exemple, le complexe De Dageraad qui multiplie les formes et les motifs dans un élan vers le haut, transformant le bâtiment en temple de la modernité.
De même que les membres de l’École d’Amsterdam s’étaient placés en opposition à Berlage, certaines voix s’élèvent contre le mouvement, lui reprochant les coûts exorbitants de construction et surtout l’aspect très peu pratique de ses créations dans lesquelles la forme prime sur la fonction. C’est ainsi que se développe un certain fonctionnalisme dans les nouveaux faubourgs de la ville. Acier, verre et béton sont utilisés dans des édifices où cette fois la forme se plie à la fonction. Les agencements sont plus spacieux et surtout plus pratiques.Architecture contemporaine
Aujourd’hui, Amsterdam est devenue une vitrine de la vitalité architecturale contemporaine et les créations les plus novatrices jalonnent la ville. En 1997, Renzo Piano dote la ville d’une étonnante coque verte : c’est NEMO, le musée scientifique. Renzo Piano rappelle ici le passé maritime de la ville en offrant une architecture originale et une vue imprenable sur la capitale. Les rives de l’IJ accueillent, elles aussi, d’incroyables réalisations, à l’image du EYE, le musée du film, qui tel un vaisseau à l’élégant aérodynamisme, symbolise l’image en mouvement. Près de la station Bijlmer-Arena se dresse depuis 2002 une étrange créature de métal, c’est l’ING House qui semble comme prête à bondir grâce à ses 16 pattes élancées. En 2005, Amsterdam ouvre un nouveau temple de la musique, le Muziekgebouw aan’t IJ, cube d’acier fermé par une verrière de 24 m de haut, dans lequel vient s’emboîter un cube noir, celui du Bimhuis dédié au jazz, l’ensemble étant unifié par un vaste toit avançant vers l’horizon. En 2012, l’architecte hollandais Mels Crouwel dote le Stedelijk Museum d’une nouvelle aile que beaucoup appellent « la baignoire » du fait de sa structure géométrique comme posée sur un grand hall lumineux.
Parmi les éléments indissociables de la ville, on trouve également les maisons flottantes. Du superbe voilier à la cabane aquatique, ces maisons étaient, dans les années 60, très prisées des « provos », ces anticonformistes luttant contre la spéculation immobilière. Aujourd’hui, y habiter coûte très cher, d'autant que la mairie a interdit de nouveaux arrimages, faisant grimper en flèche le prix des logements existants. Mais ces dernières restent malgré tout très représentatives d’un certain art de vivre amstellodamois. La municipalité le sait bien, d’ailleurs elle prévoit de loger près de 75 000 personnes dans des centaines de navires de croisière arrimés au port ! Depuis des siècles, architectes et urbanistes développent des trésors d’ingéniosité pour faire face aux éléments. Les nouveaux quartiers qui sortent de terre, telles des îles artificielles, en sont aujourd’hui encore la preuve. Les îles du quartier d’IJburg sont reliées au continent par cette élégante virgule d’acier qu’est le pont Enneüs Heerma. Quant au quartier flottant de Waterbuurt, sur l’île de Steigereiland, il est un des plus beaux témoins de l’engagement pris par la ville pour promouvoir une architecture durable. Il est en effet composé de 150 maisons flottantes construites en matériaux non polluants. Sur l’eau, mais aussi en cœur de ville, la municipalité incite à l’emploi de structures bois et toits végétalisés. Parmi les grands projets d’avenir : la construction d’un tunnel de 50 km accueillant zones de stationnement et services où serait détournée la circulation de l’actuel périphérique, afin de limiter la pollution de l’air en ville.Le dutch design
Aujourd’hui célébré dans le monde entier, le design hollandais est l’héritier de l’artisanat d’art dans lequel le pays a excellé à travers les siècles, notamment au XVIIe avec l’essor de la faïence de Delft et de la marqueterie de luxe. Berlage, tout comme les membres de l’Ecole d’Amsterdam, furent, également très influencés par le mouvement Arts and Crafts de l’anglais William Morris, prônant le retour à la tradition artisanale contre la production de masse. Produisant des œuvres totales, ils ont en quelque sorte anticipé le design. Mais le vrai père du design hollandais est sans conteste l’architecte et ébéniste Gerrit Rietveld. S’inscrivant dans la mouvance De Stijl influencée par la géométrie du peintre Mondrian, Rietveld conçoit des objets simples, épurés, très géométriques, visant au pragmatisme et au rationalisme. Sa première grande réalisation, devenue culte, est le Fauteuil rouge et bleu de 1919, qu’il recouvre d’aplats de couleurs primaires en 1923. C’est aussi à lui que l’on doit la Chaise Zig-Zag, en 1934. Aujourd’hui, de nouveaux créateurs se placent dans cette lignée tout en défendant une modernité assumée. Le collectif Droog Design met à l’honneur l’utilisation de matériaux de récupération et une économie de ressource en créant un mobilier novateur et plein d’humour. De ce collectif a émergé une figure clé du design contemporain : Marcel Wanders. Connu dans le monde entier, le designer fait le lien entre traditionnel et industriel en mettant au goût du jour des techniques parfois un peu oubliées, comme avec sa Knotted Chair, de 1996, qui allie esthétisme et robustesse en reprenant la technique du macramé. Marcel Wanders a créé le studio-galerie MOOI qui s’est donné pour but d’aider les designers à réaliser leurs œuvres rêvées. Résultat : des créations étonnantes, colorées, parfois surréalistes et surdimensionnées, mais toujours totalement décomplexées. Ce MOOI est devenu l’un des temples du design à Amsterdam.