La marchande de pistaches
L’invite retentit sur le trottoir : « Biiiiiiiien grilléééé... ! Biiien grilléééé... Tout chau-aud ! » Dans un lieu passant de préférence, sur l’espace d’un regroupement, la même ritournelle résonne, alors les cornets de pistaches sollicités, desserrent vite les rangs pour répondre aux attentes. Assise devant sa marchandise posée sur un petit tray en bois, ou déambulant son panier en osier sous le bras, la vendeuse de pistache-pays fait partie intégrante des petits métiers de la culture antillaise, et ce depuis toujours.
Elle est présente, lors des fêtes patronales, au carrefour de route, à la sortie des cimetières, devant les salles de fête, la marchande de pistaches est partout. Les pistaches sont vendues en cornet ou en nougat-péyi à déguster.
Ceux qui croient parfaitement maitriser la langue de Molière, se demandent pourquoi appeler pistache, quelque chose qui semble ne pas l’être. N’en déplaise aux puristes qui réclament « un paquet de cacahuètes », les simplistes continuent de perpétuer l’usage en cours au XVIIe siècle où en français l’on disait : la pistache de terre !
Une arachide nommée pistache pays. À la Martinique, fidèle à nos habitudes langagières, nous disons toujours pistache comme aux XVIIe et XVIIIe siècles. Croire que pistache n’est simplement qu'un vulgaire mot créole qui désigne la cacahuète et penser qu’il faut absolument le bannir de son langage aseptisé de tout créolisme est une erreur grossière. L’arachide est encore nommée pistache au pays car les habitudes sont coriaces. Il faut ici croire que le contenu d’une arachide est suffisant pour que deux mots, pistache et cacahuète puissent le partager.
Qu’en dit le dictionnaire ? Le Robert 2006 précise : « l’arachide (Arachis hypogaea) ou cacahuète, peanut en anglais, ou encore pinotte aussi pois de terre, était couramment nommée pistache de terre, ou simplement pistache, appellation connue et employée par les Français au XVIIIe siècle. Le terme français cacahuète plus récent, est emprunté en 1801 à l’espagnol cacahuete « arachide », antérieurement cacaguate (1653). »
La pistache de terre était inconnue en France avant l’arrivée de Colomb, car c’est une plante originaire d’Amérique latine. Elle était cependant déjà cultivée bien avant l’arrivée des Européens aux Amériques, la pistache de terre est un des noms utilisés par les français pour désigner ce qui s’appelle couramment aujourd’hui en France la cacahuète (ou cacahouète). Le Père Labat ne connaissait jusque-là que le pistachier, comme ceux de Provence, et dans son ouvrage Nouveaux voyages aux Isles, il s’explique : « On l’appelle pistache très improprement car il n’a rien qui s’approche des véritables pistaches, ni pour le goût ni pour la couleur, ni pour la coque qui le renferme, ni pour la manière dont la nature le produit ». Il semble faire fi de l’usage langagier en cours au XVIIe- XVIIIe siècle où l’on disait pourtant en français : la pistache de terre comme la tradition nous est restée de la nommer encore sans ajouter le mot terre.
C’est au XXe siècle que le mot cacahuète va s’imposer dans le vocabulaire français et remplacer petit à petit le mot pistache de terre. »
Le djobeur
Le djobeur djobè en créole est comme son nom l’indique un éventuel travailleur, il est moyennant quelques piastres, un homme serviable qui fait des « djobs ». Les plus connus sont ceux qui ont été immortalisés dans Chronique des sept misères, le premier roman de Patrick Chamoiseau.
L’homme s’occupe, parce que la misère et le chômage l’exigent, parce qu’il a charge d’âmes : femme, enfants. Il rend service pour ne pas mourir de faim. Djobeur il l’est, mais pas obligatoirement SDF.
Souvent l’occasion va donner le larron, il va aider à transporter jusqu’au marché, les lourdes marchandises de ces femmes, arrivées des quatre coins de la Martinique. Ce sont de pauvres portefaix, au service des marchandes qui en bénéficient moyennant pourboire. Ils vont tout charroyer sur leurs diables de fortune, construits d’ailleurs de leurs propres mains. Et puis la modernité vint passer par là, les voitures, ou véhicules 4x4 s’arrêtent aujourd’hui et déposent tout, dans la gueule même du marché, tuant du même coup la « fonction » déjà si précaire de l’indispensable djobeur. Mais l’intelligence de l’homme restant à son service, le djobeur s'est adapté à la situation, à l’époque et il évolue. Et même s’ils l’ont toujours fait depuis la nuit des temps, les djobeurs désormais se cantonnent à l’approche de la fête de la Toussaint, là où le travail l’attend encore. Ils sont prêts à réaliser les petits boulots et dans une bonne ambiance, ils continuent de perpétuer la tradition. Dès l’ouverture du cimetière, le chômage les stimulant, ils proposent leur aide contre quelques pièces et billets, pour nettoyer les carreaux des tombes, arracher les mauvaises herbes autour des fosses.
Michel Morin l’indispensable. Le djobeur n’est cependant pas un Michel Morin. Ce dernier est un bricoleur qui sait tout faire sans forcément bien faire tout. Michel Morin c’est le factotum parfait, un amateur professionnel qui rafistole pour pas trop cher.
Selon le site Potomitan, dans un article signé Marie-Andrée Ciprut « c’est Jean Benoist qui semble en avoir identifié précisément l’origine, en retrouvant parmi les œuvres de colportage du XVIIIe siècle un texte contenant l’histoire d’un certain Michel Morin, bedeau du village de Beauséjour, en Normandie, décédé en 1713, lequel aurait été particulièrement malin et débrouillard ».
Le djobeur serviable intéressé et Michel Morin, l’homme qui sait tout faire, sont depuis longtemps ancrés dans nos habitudes.