Le moulin Jouan, dernier moulin de sirop-batterie
Depuis déjà quatre générations, dans les hauteurs du Nord de la Martinique, au Lorrain, à Morne Bois, plus spécialement se trouve le dernier moulin artisanal de sirop de batterie, appelé en créole gwo-siwo, ce moulin date de 1797. C’est un moulin à bêtes qui a 225 ans. Il appartient à la famille Jouan qui y fabrique du sirop de batterie tous les 15 jours, de préférence le samedi. Elle le commercialise sur les foires ou certains marchés ou encore dans des boutiques spécialisées à Fort-de-France, Lamentin, Diamant, Vauclin, Sainte-Anne, les Trois-ilets, le François, Rivière-Pilote. L’actuel responsable M. Daniel Jouan, continue de perpétuer ainsi un savoir-faire ancestral : la fabrication artisanale de sirop de batterie. Comme ses ancêtres, il coupe les cannes pour les faire écraser par les gros cylindres du moulin datant du XVIIIe siècle. Le toit de chaume qui recouvrait l’ensemble est depuis remplacé par de la tôle qui abrite aujourd’hui les trois rotors entourés d’une table amovible que l’on ferme lorsque les roues en fonte fonctionnent. On fournit l’appareil en cannes préalablement lavées, placées entre les broyeurs. Longtemps aidé par les bœufs puis par sa fidèle mule Chabine, qui depuis est partie rejoindre l’autre bord de la vie, un tracteur a pris la relève et fait actuellement tourner les cylindres rotatifs. Pour 4 tonnes de cannes on obtient 100 à 120 litres de sirop.
La fabrication du sirop de batterie
Autrefois, l’on devait battre et tordre la canne pour en extraire le jus appelé aussi le vesou, vizou en créole qui, eu égard au gwo-siwo, est très liquide. Avant d’être broyée dans le moulin, la canne est lavée la veille pour le débarrasser de toutes les impuretés, il est important aussi que la canne coupée passe 2 ou 3 jours à l’air, afin de réduire sa teneur en eau.
Le choix du bois de cuisson est très important (du bois d’inde, de campêche ou bois de savonnette…) du bois qui se consume longtemps car tout doit se faire en une journée parce que le jus de canne fermente vite. On travaille tant que l’on a du jus. Le jus extrait de la canne est cuit longuement au feu de bois dans une cuve au-dessus d’un foyer artisanal contrôlé assidument pour éviter une ébullition trop rapide et pour permettre que les impuretés remontent à la surface. Elles seront enlevées grâce à une écumoire.
On augmente la chaleur du feu pour faire bouillir le jus qui s’éclaircit et s’évapore pendant trois ou quatre heures jusqu’à devenir un épais sirop.
C’est sa couleur, son odeur, son élasticité qui vont montrer que le sirop est prêt. On le retire de la cuve pour le laisser refroidir à température ambiante avant de le mettre en bouteille.
Les étapes sont les suivantes :
Le broyage : les cylindres broient la canne ;
L’égouttage : le jus regagne la purgerie dans laquelle on laisse égoutter le sirop.
Le nettoyage : enlever la bagasse (déchet) qui servira d’engrais pour le jardin créole ou de combustible.
La condensation : dans la purgerie, trois chaudières (la grande, la propre, la batterie) condensent le liquide en sirop. Cette dernière a donné le nom au sirop.
L’évaporation : le jus de canne est concentré et cuit dans les 3 cuves en fonte réservées à cet effet.
L’ébullition : à surveiller et seul l’expert précisera si le feu doit être alimenté de nouveau par du bois.
Les ingrédients : comme autrefois, les fleurs d’atoumo, herbes couresses, « pied-de-poule » sont ajoutées au liquide bouillant.
Écoulement : une gouttière souterraine permet l’écoulement du liquide sirupeux jusqu’à un petit bassin qui va alimenter les cuves qui se trouvent dans le bâtiment en contrebas.
Cuisson : environ 12 heures de cuisson.
Tamisage : à la main, dans une toile spéciale on va débarrasser le sirop cuit des derniers déchets de la canne.
Refroidissement : pendant 24 heures le sirop repose et s’épaissit.
Mise en bouteille le lendemain puis livraison vers les commerces et/ou les étals des marchés.
Le sirop batterie et ses vertus
Avec un petit côté so british, le sirop-batterie peut accompagner à la fois le sucré-salé, allant du petit déjeuner du matin à la viande rôtie, sans oublier le punch pour ceux qui ne le prennent pas sec, ainsi que le madou, complément classique, une boisson énergisante.
La richesse nutritionnelle du sirop de batterie lui confère de nombreuses vertus. Il contient du calcium, de la saccharose. Il est très riche en minéraux et oligo-éléments. On y trouve du fer, du cuivre et du magnésium. En conséquence on lui accorde des qualités permettant de soigner les problèmes de peau, et de lutter notamment contre l’anémie, la perte des cheveux.
Autres prérogatives du gwo-siwo
Certains aiment bien remplacer le sucre par le sirop batterie qu’ils préfèrent dans leur punch, leur thé, aussi dans certains jus. On prétend même que le sirop batterie serait utilisé dans la production du rhum vieux, mais le secret de fabrication est si bien gardé que nul ne le confirme. II est cependant certain qu’on l’utilise pour fabriquer les gâteaux, les pâtés sucrés, les caramels et tablettes de coco, les nougats-pays aux pistaches pays ou à la noix-cajou.
Mise en garde
Le sirop batterie fait partie des plaisirs que le Martiniquais s’offre encore, mais il fait cependant partie d’une richesse en grand danger, qu’il faut absolument préserver, si l’on veut déguster un sirop-batterie authentique de bonne qualité. Les acteurs actuels du sirop fabriqué de manière artisanale commencent à devenir vieux, ils sont de moins en moins nombreux, les jeunes ne sont guère motivés, ce qui fait que la relève parait bien aléatoire si une instance ne vient au secours de ce patrimoine.