Maison créole traditionnelle, La Réunion. shutterstock - A. Karnholz.jpg
Temple hindou, le Colosse à Saint-André. shutterstock - Stefano Ember.jpg
Eglise baroque Sainte-Anne. shutterstock - Zourite.jpg
La préfecture de Saint-Denis. iStockPhoto.com - Gwengoat.jpg

Art d’habiter créole

Frêles d’apparence, les premières habitations de l’île étaient en réalité des paillottes capables de résister aux assauts du temps car fabriquées avec des matériaux locaux parfaitement utilisés selon leurs propriétés : le vétiver comme excellent isolant, la paille pour absorber l’eau de pluie… Cette architecture originelle, reconnaissable également à sa toiture à deux pans, peut encore être observée dans les îlets des cirques, celui de Mafate notamment. Les premiers colons s’inspirèrent, eux, de la charpenterie marine et mirent en place des ossatures en bois, privilégiant des essences résistantes tels le bois de natte ou le bois de fer, taillant dans le tamarinier les bardeaux ou tuiles de bois recouvrant leurs habitations. Aidés par un climat de prospérité, les colons font évoluer leurs habitations. La plus ancienne de l’île, la maison Adam de Villiers à Saint-Pierre, avec son toit mansardé, sa façade classique et sa pierre austère, est une reproduction parfaite des modèles en vogue en métropole à la fin du XVIIIe siècle. Puis rapidement va se mettre en place un art de vivre et d’habiter résolument créole. Entre Orient et Occident, la Réunion va mêler ces influences dans un type d’habitation portant fièrement son identité métissée : la case créole, qui désigne en réalité bien des formes d’habitation. Petites cases de bois ou de tôles, villas bourgeoises citadines, somptueuses résidences coloniales ou bien encore villégiatures des Hauts appelées « villas de changement d’air », toutes ces maisons ou « cases » partagent des caractéristiques communes. De l’Occident, elles ont tiré un plan rectangulaire, une distribution intérieure où règne la symétrie avec une grande salle centrale à laquelle mène un couloir distribuant chambres et petits salons, une haute toiture à quatre pans fortement inclinés et surtout un décor néoclassique avec colonnades et moulures. De l’Orient, elles ont importé la varangue, directement inspirée des demeures coloniales de Pondichéry. Cette véranda, d’abord imaginée comme protection contre le soleil, devient progressivement une véritable pièce à vivre avec son mobilier de rotin attendant les visiteurs. L’hospitalité est la pierre angulaire de la culture créole, mais elle s’accompagne également d’un véritable culte de l’intimité. Les grandes demeures sont protégées par un baro, grand portail décoré en fer forgé, puis par un jardin foisonnant, puis par la varangue de façade, dernier espace avant de pénétrer dans l’intimité du foyer. Elles disposent également souvent d’un guétali ou kiosque disposé à l’angle du jardin et permettant de voir la rue sans être vu. Ce jeu de dupes se retrouve dans les façades-écrans plus larges que le corps d’habitation, ne laissant ainsi rien paraître de la réalité du foyer. Nature et varangue protectrices se retrouvent également dans les cases les plus modestes. Toutes ces habitations sont aussi très fonctionnelles : la cuisine est séparée du reste de l’habitation afin d’éviter les risques d’incendie et la disposition des pièces en enfilade et les vasistas ou panneaux ajourés en haut des cloisons permettent une ventilation constante de la maison. Les cases créoles se distinguent en revanche par leur décor. La couleur des murs et des volets varie, de même que les motifs en bois découpés et sculptés omniprésents, les célèbres lambrequins. Ces frises découpées faisant le tour du toit sont l’emblème de l’architecture créole et l’expression de la personnalité des propriétaires. Parmi les plus beaux exemples de cases créoles, citons la Maison Foucque à Saint-Denis, la maison Folio à Hell-Bourg, la maison Déramond-Barre à Saint-Denis et bien sûr la maison Villèle à Saint-Gilles-les-Hauts.

Métissage religieux

Le patrimoine religieux de la Réunion est d’une très grande richesse et témoigne de l’incroyable syncrétisme qui s’est opéré sur l’île depuis ses origines. Ses villes aux noms de saints s’égrainent sur les côtes telles les perles brillantes d’un chapelet et offrent de beaux exemples d’architecture catholique. À Saint-Denis, vous pourrez admirer l’imposante cathédrale néoclassique, ainsi que les cures ou habitations des prêtres, somptueuses demeures à varangues et colonnades. Parmi les témoins du catholicisme, ne manquez pas la chapelle du Rosaire à Saint-Louis – le plus ancien édifice religieux de l’île –, la très baroque église Sainte-Anne dont le foisonnant décor de moulures et statues donne à l’ensemble des allures de stupa indien, ou bien encore la chapelle Pointue de Saint-Gilles-les-Hauts mêlant des allures de pagode à une silhouette néogothique. À côté de ces grands édifices, le petit patrimoine dit aussi beaucoup sur la manière de pratiquer la religion sur l’île : chapelles, calvaires, oratoires ou ti bon Dié peuplent les terres réunionnaises, tout comme les petites niches rouges placées le long des routes en l’honneur de saint Expédit, un saint pas très catholique ! À leurs côtés, les mosquées, elles, portent fièrement les valeurs de l’islam. La mosquée Noor al-Islam à Saint-Denis, datant de 1905, est la plus ancienne de France. Incendiée accidentellement, elle fut superbement restaurée en marbre. Quant à celle de Saint-Pierre, elle impressionne par la majesté de sa coupole. Islam et catholicisme dialoguent également avec l’hindouisme célébré dans les superbes temples tamouls. Plutôt modestes, ces temples vont progressivement s’étoffer, la prospérité des nouvelles générations devant se lire sur les façades autant que dans les somptueux intérieurs. Décors sculptés et chatoyante polychromie caractérisent ces temples qui sont agencés et ordonnancés dans le plus pur respect des règles hindouistes, tout en employant certaines caractéristiques créoles en matière de toiture (terrasse ouverte) ou de peinture (frises colorées)… l’art parfait du syncrétisme. Parmi les plus beaux temples, notons ceux de l’Éperon à Saint-Denis et du Colosse à Saint-André.

Architecture du pouvoir

La puissance coloniale ne se lit pas uniquement dans les somptueuses villas des grands domaines, elle s’observe aussi dans l’urbanisme de Saint-Pierre et Saint-Denis. Leurs centres-ville ont été dessinés selon un rigoureux plan en damier où rues et avenues se croisent à angle droit, témoin de la volonté de dompter cette terre sauvage et de l’ordonnancer selon les codes urbanistiques européens. C’est dans ces centres que l’on retrouve les témoins de cette puissance politique et commerciale. La préfecture de Saint-Denis en est l’un des plus beaux témoins. Ancien magasin de la Compagnie des Indes devenu résidence des gouverneurs, elle fait figure aujourd’hui de petit palais tout à la gloire de l’administration française. Hôtels de ville, anciens magasins de négoce, arcades commerçantes sont autant de témoins de cette histoire coloniale.

Mais le pouvoir est aussi industriel. Encore méconnu, ce patrimoine est pourtant indissociable de l’histoire de l’île dont les usines sucrières ont à bien des endroits modifié le visage. Loin de n’être que de simples hangars, ces usines étaient de véritables domaines regroupant les hangars à machine, les entrepôts, les magasins, les moulins, les forges, les cuisines, une case-hôpital, mais aussi les logements des ouvriers, des temples et chapelles, et plus à l’écart la villa du propriétaire. Avec le perfectionnement des machines et la recherche d’une rationalisation de l’espace et des techniques de production, ces usines n’ont cessé de s’agrandir, peuplant la luxuriante végétation réunionnaise de leurs hautes cheminées au chaînage en bois et dont certaines sont aujourd’hui classées et protégées. L’usine nouvelle du Chaudron à Saint-Denis est sans doute l’exemple le plus célèbre de cette architecture industrielle. On peut y observer le plus ancien moulin à vent de l’île qui fut fabriqué en Angleterre et transporté en pièces détachées. Indissociables des ponts, routes ports et chemins de fer (la gare de la Grande Chaloupe à Saint-Denis datant du XIXe siècle est l’un des plus anciens témoins de ce patrimoine ferroviaire), ces usines sont également liées à une réflexion menée sur l’habitat des travailleurs. Le quartier de la Cafrine à Saint-Pierre possède des exemples de longères, longs bâtiments rectangulaires en maçonnerie disposés en bande et utilisés pour loger les engagés et leurs familles à moindre coût. Longères, paillotes et maisons de bois formaient ainsi de véritables camps ouvriers rappelant par bien des aspects les cités minières de la métropole. Dans l’entre-deux-guerres, on cherche à améliorer les conditions de vie des travailleurs en imaginant des cités ouvrières avec des maisons individuelles en dur suivant les codes traditionnels créoles et placées au centre d’une parcelle possédant un jardin. Des exemples sont à voir notamment sur l’ancien domaine sucrier de Savanna à Saint-Paul.

Évolutions et perspectives

En 1948, un cyclone dévastateur laisse des milliers de Réunionnais sans domicile. C’est ce drame qui donna l’idée à l’architecte Louis Dubreuil et à l’industriel Maurice Tomi d’inventer un type d’habitation moderne et modulaire, respectueux de l’héritage créole, résistant aux intempéries, facile à produire et à construire, et accessible à tous, y compris aux plus modestes. La « Case Tomi » a été une véritable révolution dans l’histoire de l’habitat réunionnais et est aujourd’hui encore très populaire. L’élément le plus moderne de la « Case Tomi » est sans conteste l’intégration à la maison de la cuisine et de la salle d’eau. Mais face à la pression démographique constante, il faut construire toujours plus. Les années 1960-1970 seront celles du béton. Les cases SATEC, cubes de béton, fleurissent partout sur l’île et sont à l’origine du développement de nouveaux lotissements empiétant toujours plus sur les terres agricoles. Mais ces cases ont au moins le mérite d’utiliser encore des éléments créoles, la varangue en tête. Jean Bossu, élève de Le Corbusier et Auguste Perret, tente également de maintenir ce dialogue entre modernité et héritage créole dans ses constructions, à l’image de la résidence Les Remparts à Saint-Denis où les appartements traversants possèdent loggias, parois ajourées et cours de service. Ce dialogue est malheureusement rompu avec l’avènement des grands ensembles qui n’ont plus guère de relations avec le contexte et la culture créoles. Ces préfabriqués en béton donnent naissance à de nouveaux quartiers comme le Chaudron à Saint-Denis ou la Ravine Blanche à Saint-Pierre, ou même à des villes nouvelles sans grand caractère. Une situation que bon nombre d’architectes réunionnais tentent aujourd’hui de contrer en imaginant une architecture verte et durable, respectueuse des savoir-faire ancestraux et perpétuant la tradition créole d’un dialogue harmonieux avec la nature. Il ne s’agit plus de rentabiliser l’espace à tout prix mais de mieux habiter. La Réunion, nouvelle terre d’expérimentation !