Créolisme, mythes et réalités
Dans les années 1970, l’émergence du roman antillais en français fait connaître des noms qui deviendront célèbres : Maryse Condé, Ernest Pépin, Gisèle Pineau… Chacun, à sa manière, décrit les mythes et réalités de l’archipel. Tous seront remarqués et édités en France. Partant de ce constat, Ibis Rouge, une société d’édition insulaire créée en 1995, d’abord en Guyane puis en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion, entend apporter à ces auteurs un accompagnement professionnel sur place, au même titre qu’en métropole. Spécialisée dans les thèmes relatifs aux Caraïbes et à l'océan Indien, la structure indépendante possède un catalogue impressionnant.
Découvrir les plus grands écrivains guadeloupéens
Commençons par Alexis Leger, dit Saint-John Perse. Cet écrivain et diplomate français, né à Pointe-à-Pitre en 1887, a reçu le prix Nobel de littérature en 1960 pour l'ensemble de son œuvre. Ses principaux recueils, Éloges (1907), Exil (1942) et Oiseaux (1962), évoquent les années heureuses passées dans la nature guadeloupéenne. Ses œuvres complètes sont parues en 1972. Une belle maison coloniale du centre de Pointe-à-Pitre, qui porte son nom, est devenue Musée des arts et traditions. Une large part des expositions (photographies et manuscrits notamment) et une documentation littéraire sont dédiées au poète. Sa maison natale, quant à elle, a malheureusement été détruite en 2017.
Évoquons également Maryse Condé, une enseignante et romancière née en 1937. Après une vie entre la Guadeloupe, l’Afrique et la France, elle s'établit aux États-Unis où elle enseigne à l’université de Columbia et travaille pour la BBC. Récompensée à plusieurs reprises, elle est l’auteur de plusieurs romans, dont les plus connus sont Ségou (2 volumes, 1984-1985), Moi, Tituba sorcière (1986), Desirada (1997), Célanire cou-coupé (2000) et Histoire de la femme cannibale (2005). Une autobiographie, La vie sans fards, est sortie à la rentrée 2012, et dans la continuité de cet ouvrage paru en 2015 Mets et merveilles. Elle est également présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage. Sur sa proposition, l'ancien président Jacques Chirac a créé la Journée de la commémoration des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions, fixée au 10 mai et célébrée pour la première fois en 2006. À ce titre, Maryse Condé a participé, en tant que professeur, au livre paru en 2013 : Exposer l'esclavage, méthodologies et pratiques. En 2015, Maryse Condé annonçait Monts et merveilles comme son dernier ouvrage. Mais, probablement inspirée par l'actualité, la romancière imagine le parcours d'un jeune radicalisé guadeloupéen dans Le Fabuleux et triste destin d'Yvan et Yvanna, paru en 2017. Le 12 octobre 2018, Maryse Condé se voit décerner le prix Nobel alternatif de littérature, une belle consécration pour l’écrivaine. En 2021, elle publie L'Évangile du nouveau monde, une sorte de Nouveau Testament transporté en Guadeloupe.
Impossible de passer à côté d’André et Simone Schwarz-Bart, dont la maison se visite aujourd'hui. André Schwarz-Bart (1928-2006) est né en Moselle en 1928. Sa vie bascule pendant la Seconde Guerre mondiale, car ses parents sont envoyés dans un camp par les nazis en 1942. Il s'engage dans la résistance et met quatre ans avant de publier son roman Le Dernier des Justes, pour lequel il obtient le prix Goncourt en 1959. Son roman relate la vie d'une famille juive persécutée de la période des Croisades jusqu'à la Shoah. En 1961, il épouse une étudiante guadeloupéenne Simone Brumant (née en 1938) avec qui il coécrit ensuite Un plat de porc aux bananes vertes et la Mulâtresse Solitude. Ils sont les parents du saxophoniste de jazz Jacques Schwarz-Bart. Bien que la Mulâtresse Solitude, jeune esclave libre, ait vraiment existé, il s’est créé une véritable légende autour de son personnage notamment grâce à André Schwarz-Bart. Son livre retrace en partie l'histoire de cette jeune martyre, même si, à la lecture, on s'aperçoit que les faits ne coïncident pas avec la véritable chronologie. Ce que l'on sait de la Mulâtresse Solitude : Elle est née, en 1772, d'un viol qu'a subi sa mère par un marin sur le bateau qui l'amenait en Guadeloupe. Sa mère s'enfuit de la plantation où elle était assignée avec sa fille. Cette dernière rejoint, à l'adolescence, le combat de Louis Delgrès et d'Ignace lorsque la France rétablit l'esclavage en 1802 après l'avoir aboli en 1794. Enceinte, elle est condamnée à mort et sera exécutée le lendemain de son accouchement, le 29 novembre 1802. En 1999, une statue de Jacky Poulier est dressée à sa mémoire au carrefour de Lacroix, sur le boulevard des Héros, aux Abymes.
Il y a aussi Ernest Pépin poète, romancier et critique littéraire né en 1950. Cet ancien professeur de français, marqué par la rencontre de Cheik Anta Diop en 1983, a été récompensé de nombreux prix pour ses romans, nouvelles, livres pour enfants et recueils de poésie. Son premier roman L'Homme au bâton paru en 1992, l’a fait connaître du grand public. Ses romans, Le Tango de la haine (1999), Cantique des tourterelles (2004), L’Envers du décor (2006) et Toxic Island (2010), et ses essais comme cette Lettre ouverte à la jeunesse (2001) montrent ses préoccupations sociales, ainsi qu'une forte acuité sur l'identité profonde de l'âme guadeloupéenne. À l’origine d'un salon littéraire (Mai du livre), Ernest Pépin est une personnalité intellectuelle très respectée. Le 25 septembre 2007, pour son anniversaire, Ernest Pépin a été fait chevalier de la Légion d’honneur. Son dernier roman, Le Griot de la peinture, inspiré de la vie du peintre Jean-Michel Basquiat paraît en 2015.
Gisèle Pineau, quant à elle, est une infirmière qui s’est lancée dans l'écriture. Née en 1956 à Paris, de parents originaires de la Guadeloupe, elle suit ses études à Paris jusqu'en 1979, puis regagne Basse-Terre où elle travaille au Centre hospitalier psychiatrique de Saint-Claude. Cette expérience lui donne l'occasion de sonder les maux de la société antillaise. Dans ses livres, les femmes sont souvent au centre de l'écriture. En 1998, elle dirige l'ouvrage collectif Les Femmes des Antilles, traces et voix, 50 ans après l’abolition de l’esclavage. En 1994, La grande drive des esprits reçoit le prix du magazine Elle, Fleur de barbarie reçoit le prix Rosine Perrier (2005), et Folie, aller simple : Journée ordinaire d'une infirmière reçoit le Prix Carbet des lycéens (2011). Les romans Chair Piment (2005), Morne Câpresse (2008) et Cent vies et des poussières (2012) évoquent les parcours réalistes, souvent violents, de femmes guadeloupéennes. En 2015 paraît son 20e roman, Les Voyages de Merry Sisal, l'histoire d'une jeune femme haïtienne après le tremblement de terre de 2010. Le Parfum des sirènes paraît en 2018.
Évoquons encore Guy Tirolien, né en 1917 à Pointe-à-Pitre d'un père directeur d’école. Il va habiter à Marie-Galante à l'âge de huit ans, une île dont sont originaires ses parents, et à laquelle il sera toute sa vie très attaché. Administrateur colonial de carrière, il publie son œuvre majeure, Prières d'un petit enfant nègre en 1943 puis participe à la création, en 1947, de la revue Présence Africaine aux côtés de Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire notamment. Le poète s'engage également au sein du mouvement littéraire de la Négritude. C'est en 1961 qu'il publie son premier recueil de poèmes intitulé Balles d'Or. Il décède à 71 ans, en 1988, sur son île tant aimée.
Daniel Maximin. Né en Guadeloupe en 1945, Daniel Maximin est romancier, poète et essayiste. En 1960, toute sa famille s’installe à Paris. Il suit des études de lettres et de sciences humaines à la Sorbonne. C’est à la librairie Présence Africaine (surnommée La Sorbonne noire et lieu où la jeunesse venait découvrir dans les années 60 les pères de la décolonisation) qu’il s’est lié avec entre autres Aimé Césaire. Il devient professeur de lettres, puis chargé de cours à l’Institut d’Étude Sociales tout en écrivant. Entre 1980 et 1989, il est directeur littéraire aux Éditions Présence Africaine et également producteur de l'émission « Antipodes » sur France-Culture. Entre 1989 et 1997, il s’installe en Guadeloupe en tant que Directeur régional des affaires culturelles. Puis il revient en France en 1998 où il s’occupe d’organiser la Célébration nationale du 150e anniversaire de l'abolition de l’esclavage. Deux ans plus tard, il est nommé Conseiller à la Mission pour les Arts et la Culture au ministère de l'Éducation nationale. En 2006, il devient pour le festival « Francofffonies » responsable pour la littérature et l’éducation. En 2011, il est Commissaire général de L’année des outre-mer puis Commissaire général de l'exposition : Aimé Césaire, Lam, Picasso : « nous nous sommes trouvés », au Grand Palais à Paris. Depuis 2013, il est membre de l’Observatoire de la laïcité, qui est une commission consultative française chargée de conseiller et d’assister le Gouvernement sur le respect et la promotion du principe de laïcité. À côté de toutes ses fonctions qu’il occupe, il a écrit des ouvrages qui ont connu du succès. La trilogie de romans L’Isolé soleil (1981), Soufrières (1987), L’Île et une nuit (1996). Dans le premier, il évoque l’histoire tourmentée des îles sur cinq générations et peint le résultat de l’entreprise coloniale et négrière. Il a également donné des recueils de poésie comme L’Invention des désirades (2000). À lire également son ouvrage Aimé Césaire, frère volcan aux éditions du Seuil qui rend un bel hommage au grand poète ! Il faut également citer son livre de photographies Antilles : Secrètes et insolites (2011) dans lequel il partage son amour des Antilles en mettant en avant toute sa beauté ! Il faut noter qu’il a été couronné par différents prix : Chevalier de la Légion d’honneur (1993), Chevalier des Arts et Lettres (1995), Officier des Arts et lettres (2010), Officier de la Légion d’honneur (2013) et il a également reçu en 2017 le Grand Prix Hervé Deluen qui est un prix de la francophonie existant depuis 2007 et décerné par l’Académie française pour récompenser des écrivains étrangers de langue française ou des chercheurs en littérature française.
Sonny Rupaire. Né en 1940 pendant la Seconde Guerre mondiale, Sony Rupaire devient un militant de la cause nationaliste et exprime ses convictions par sa poésie qui devient son arme revendicatrice. Il est un des premiers à utiliser la langue créole en littérature. Encore étudiant, il se fait remarquer pour son poème sur l'esclavage et la colonisation « Les Dameurs ». Instituteur à Saint-Claude en 1961, il refuse d'intégrer les troupes françaises lors de la guerre d'Algérie. Condamné pour insoumission en 1963, il part porter soutien à l'Armée de Libération Nationale de l'Algérie. Il revient clandestinement en Guadeloupe en 1969 et est amnistié par le gouvernement en 1971. Il est réintégré dans l'éducation nationale en 1973. Devenu un syndicaliste actif et un militant, il décide d'écrire en créole. Il publie son recueil de poèmes bilingue, Cette igname brisée qu’est ma terre natale (Gran parade ti cou-baton). Il décède en 1991.