Habitations et bâtiments : entre histoire coloniale, tourisme et normes antisismiques
Les plus anciennes constructions de l'île sont les constructions amérindiennes. Ces habitations, situées au bord des rivières et des plages, ont disparu à la suite de la colonisation de l'île. Aujourd'hui il n'en reste que les croquis et descriptions faites par les premiers colons, conservés précieusement dans les archives des médiathèques de l'île.
Durant la colonisation, les maisons de maître se développent, prenant souvent le nom du type de production qu'elles réalisent. Ainsi, on parle d'habitation-sucrière, caféière ou autre pour les désigner. Dans la maison principale vivent le propriétaire et sa famille, tandis que les esclaves qui lui appartiennent vivent sur sa propriété dans des villages appelés « rue case-nègre ». Visibles de loin, ces maisons sont de style Louisiane et font souvent office de musées aujourd'hui. Pour la petite histoire, la Maison Zévallos, entre Le Moule et Saint-François, a été créée à la suite d'une commande de la Louisiane à l'atelier de Gustave Eiffel. Cependant, le bateau transportant l'édifice eut des ennuis techniques durant son voyage pour les États-Unis et dut faire escale en Guadeloupe. Le capitaine déchargea les marchandises et vendit deux maisons à de riches propriétaires afin de payer les frais de réparation de son bateau, introduisant ainsi le style Louisiane dans l'île !
En ville, vous observerez avec intérêt de riches demeures contemporaines juxtaposées aux anciennes maisons de maître. Toutes font partie du patrimoine : maison Saint-John Perse à Pointe-à-Pitre, Habitation Zévallos et autres habitations de planteurs, château Murat à Marie-Galante, fort Delgrès à Basse-Terre, fort de l’Union (ou fort Louis), fort Fleur-d’Epée…
Après l'abolition de l'esclavage, au XIXe siècle, les cases créoles traditionnelles apparurent. Les Guadeloupéens, désormais libres, s'installèrent sur les terrains vacants et y bâtirent leur maison. Les cases sont construites sur un plan carré et d’environ 5 à 6 mètres de côté (3 mètres pour les plus petites) et sont percées de plusieurs portes, jalousies (persiennes) et volets de bois. Elles sont traditionnellement coiffées d'un toit ondulé en pente, pour faciliter l’écoulement des eaux lors des averses, très fréquentes. Pour empêcher l'humidité, la case en bois est posée sur de grosses pierres, ou montée sur des poteaux métalliques fichés dans le sol. Bâti sur un modèle simple à deux pièces, cet habitat modeste peut être complété par une véranda périphérique ou une galerie en façade, avec un espace toilette, ou une cuisine extérieure. Une cour, un jardin potager avec l'arbre du fruit à pain nourricier et une basse-cour complètent cet espace de vie traditionnel. Peu résistantes, beaucoup de ces cases ont été détruites durant le cyclone Hugo en 1989, et remplacées par de petites maisons en dur.
Dans les années 1930, le ministère des Colonies charge l'architecte Ali Tur (1889-1977) de reconstruire une centaine de bâtiments gouvernementaux détruits par le cyclone Okeechobee en 1928. Il introduit alors le béton armé qui rompt avec l'architecture traditionnelle en bois et en pierre et fait entrer la Guadeloupe dans une ère moderne avec des bâtiments publics adaptés aux conditions climatiques. L'ancien palais de justice de Pointe-à-Pitre, la préfecture à Basse-Terre, la mairie du Lamentin, le palais du Conseil départemental, les églises de Morne-à-l'Eau et Baie-Mahault comptent parmi ses œuvres les plus emblématiques.
Si l'influence architecturale d'Ali Tur a connu son heure de gloire sur l'île, ces dernières décennies les architectes s'en sont libérés. Ainsi, dans les villas créoles modernes, l'ère du tout-béton est passée et l'architecture est revenue à des expressions post-traditionnelles qui empruntent autant à la maison de maître qu'à la case populaire. Une symbiose qui allie charpentes en bois et structures métalliques, associe grands volumes (sur un ou deux niveaux), vérandas bioclimatiques, pergolas, aux dentelles de fer forgé ou fanfreluches en bois sur les façades… Dans le même temps, le développement du tourisme de masse en Guadeloupe a entraîné la construction de nombreux complexes hôteliers dont l'esthétique, malheureusement, jure un peu avec les paysages. Dans tous les cas, la règle principale est désormais le respect des normes paracycloniques et parasismiques en vigueur ainsi que des réglementations thermiques spécifiques.Modernité : La Guadeloupe sur la route du renouveau architectural
Depuis quelques années, la Guadeloupe connaît un renouveau architectural porté par des institutions renommées. En 2000, la Maison de l'Architecture de Guadeloupe (MAG) a été créée à l'initiative du Conseil Régional de l'Ordre des Architectes de Guadeloupe. Cette association s'est donné pour but de stimuler les projets d'architecture et d'urbanisme au moyen de rencontres, de débats et d'échanges. Ainsi, la MAG organise de nombreux événements afin de faciliter la compréhension de l'architecture et de permettre aux professionnels et artistes de se rencontrer. La Maison porte un projet à dimension sociale qui défend que la culture architecturale a le pouvoir de changer les sociétés et d'améliorer la qualité du cadre de vie. En 2020, la MAG lance son premier Prix de l'Architecture de Guadeloupe pour faire connaître la production architecturale contemporaine locale et inspirer de nouvelles vocations. Dans une mouvance similaire, bien que plus historique, l'impressionnant Mémorial ACTe ou « centre caribéen d'expressions et de mémoire de la Traite et de l'Esclavage », situé à Pointe-à-Pitre, a ouvert ses portes en 2015. Le bâtiment, conçu par les architectes guadeloupéens Jean-Michel Mocka-Célestine, Pascal Berthelot, Mikhëm Marton et Fabien Doré, est un symbole fort dans une île marquée par l'esclavage et la traite. Cette institution muséale a été pensée sur le concept d'une boîte noire d'une surface de 7 800 m² encerclée par des racines d'argent. Symboliquement, la boîte noire est l'écrin de la mémoire, dans laquelle siège une exposition permanente, tandis que les racines représentent les âmes des milliers d'êtres humains disparus durant l'esclavage. Elles font aussi référence à la légende du figuier maudit, une plante qui prospère sur les ruines et les protège de l'anéantissement… Métaphore architecturale lourde de sens dans une île où le passé reste encore très présent.